mardi 30 septembre 2014

Il est temps ...



Il est temps.
Il est grand temps maintenant.
Grand temps de ....
Rire à gorge déployée.
Etre soi même.
Avec soi même.
Avec les autres.
Dire qui l'on est.
Dire ce que l'on pense.
Dire ce que l'on ressent.
Sans honte.
Sans crainte.
Sans ambages et sans faux semblants.
Avancer.
Ne plus avoir peur.
Ne plus se retenir.
Ne plus se mentir.
Ne plus s'étioler, à force de masques et de regrets.
Etre soi même.
Envers et contre tous.
Envers et contre soi.
Et puis peut être, un jour, en vers et avec soi.
Avancer.
Oui.
Devenir libre.
Vraiment.
Etre sincère.
Absolument.
Résolument.
Tant pis quand ça grince.
Tant pis si ça dérange.
Tant pis si ça bouscule les idées qu'on avait sur toi.
Tant pis si ça ternit l'image qu'on avait de toi.
Avancer.
Ouvrir un à un les chakras.
Une à une les portes.
Du monde.
De ton coeur.
Laisser entrer la lumière.
Partout.
Tout le temps.
Même la lumière grise.
Même celle qui fait des ombres.
Même celle dont on a peur, trop faible, ou trop vive au contraire.
Avancer.
C'est finalement le seul mot d'ordre.
Avec un autre malgré tout.
Avec un autre au dessus de tout.
AIMER ...

mercredi 24 septembre 2014

Les vacances en solo c'est "paddle la tarte", ou Bob Richard à la mer ...


La rentrée scolaire c'est un peu le moment phare de l'année pour ceux qui ont des enfants.
En fait, pour être exacte, il y a deux mois totalement dingues dès que tu as des mômes : juin, où on te colle toutes les fêtes de l'école, la crèche, la musique, la danse, le judo, le théâtre, les NAP, les TAP, (raye la mention inutile), et septembre, où tu dois justement mettre en place toutes les inscriptions qui te conduiront ... à détester juin ! Et c'est formidable, la boucle est bouclée.
Tous les ans, on frise l'ulcère, et encore moi je n'ai que deux enfants, j'ose pas imaginer la gestion de dingue qu'il faut se fader dans les grosses fratries ...
Alors cette année, quand ma copine M. m'a appelée pour me faire la proposition de ma vie (j'exagère à peine tu commences à me connaître), j'ai bondi de mon siège !
Elle, elle a tout compris.
Tous les ans, elle part juste après la semaine de la rentrée une semaine sur l'Ile de Ré, faire du surf, sans mec et sans minots !
Le-truc-de-dingue !
Et cette année, elle m'a proposé de m'emmener.
J'ai fait semblant d'hésiter deux secondes.
Et puis j'ai sorti mon cerveau de sa boîte pour trouver une organisation tellement béton que mon mec ne pourrait pas décemment refuser de me laisser partir ...
Le projet ensuite était simple : on partait en bagnole toutes les deux, et sur place, on retrouvait un prof de surf qui nous drivait toute la semaine.
Oui tu vas me dire : "Putain du surf quand même ? Je te voyais pas faire ça".
Moi non plus à vrai dire.
J'en ai fait déjà, si si je te jure.
J'en ai fait pour être précise il y a quelques années, un stage de deux heures par jour dans les Charentes, dont je garde l'impression d'un cycle long avec prélavage.
(Je veux dire par là que j'étais comme dans un tambour de machine à laver, et que j'ai bu environ mon poids en eau de mer en trois jours).
Et tout ça pour rester 12 secondes sur la planche et me laisser, à chaque fois, emporter par mon cul (les lois de l'attraction ont toujours eu raison de moi ces salopes).
Bref, j'ai kiffé il est vrai, mais je reconnais quand même que c'est un sport assez ingrat.
Ceci dit, la perspective d'avoir une semaine de vraies vacances, totalement égoïstes (donc sympas), les premières depuis .... hé ben 13 ans quand même, m'ont convaincue que j'étais sans nul doute une championne de surf !
Je lui ai donc glissé que j'étais la candidate idéale.
J'ai omis (pas tout à fait volontairement, nooooooon) de préciser que j'avais peur de tomber, que je ne pouvais même pas mettre ma tête sous l'eau sans boucher mon nez (oui, un peu comme une enfant de 5 ans), et que je ne nageais que la brasse (coulée éventuellement, pour faire style genre).
Elle m'a trouvée formidable.
Elle a dit oui, j'ai dit oui.
Et on est donc parties.
Thelma et Louise.
Enfin Thella et Mouise (et je ne faisais pas Thella bien entendu).
Arrivées sur l'ile de Ré, on a été accueillies par ce constat sauvage et brutal : il n'y avait ... pas de vagues.
Mais genre zéro quoi.
Alors certes, les amateurs de surf vont se marrer et me dire que, de toutes façons, l'île de Ré c'est pas vraiment connu pour être le meilleur spot pour la glisse.
Mais justement, pour moi qui débutait, ça semblait parfait.
Seulement voilà.
Pas de vagues, pas de surf.
Pas de surf, pas de vacances ?
Oh que non, on n'allait pas se laisser abattre comme ça !
On a donc rapidement opté pour le plan B : le paddle.
Le paddle c'est super chouette, même quand il n'y a pas de vagues : tu te déplaces sur cette grande planche en pagayant debout, Estelle Hallyday fait ça très bien apparemment, moi j'étais moins gracieuse mais on s'en foutait un peu étant donné qu'il n'y avait que des retraités sur la plage et que donc choper n'était même pas envisageable (oh ça va je décooooonne).
On a testé le paddle le jour même de notre arrivée et je ne suis tombée que deux fois, en plus à des endroits où j'avais pied.
C'était indiscutablement le paradis.
Toute la semaine qui a suivi, on était malgré tout en étroit contact avec le prof de surf pour savoir s'il y avait assez de vague (au moins une donc) pour tenter une sortie.
Toute la semaine, ma copine M. a mis des cierges à Sainte Rita pour que la mer se décolle un peu le cul et donne autre chose que du clapotis de merde.
Toute la semaine, j'ai soufflé sur ses cierges en priant pour que ça continue comme ça et que je n'aie pas à refaire un cycle "synthétique sans prélavage" ...
Et c'est moi qui ai gagné ;) !
Du coup, on a eu plein de temps pour faire du paddle.
Dès le deuxième jour, elle m'a dit qu'un ami allait nous rejoindre et qu'il pourrait nous apprendre plein de choses.
En effet, le fameux E. vit sur l'île de Ré où il est saunier (c'est à dire qu'il récolte le sel) depuis 30 piges, il était prof de planche à voile et de surf, et accessoirement il navigue sur un paddle depuis que j'ai appris à marcher à peu près.
Je l'attendais donc un peu comme le Messie, comme celui qui allait faire de moi une pro de la pagaie.
(et ça m'aurait changée moi qui suis une pro de la pagaille mouarf mouarf mouarf)(pardon pour le niveau de la vanne)
Lorsqu'il est arrivé, j'ai eu heu ... un choc.
Certes, E. est baraqué, bronzé, souriant, il approche gentiment de la cinquantaine, il a un humour de dingue et une grande culture.
Il est presque parfait en fait.
Il y a juste comment dire ?
Ce léger, ce menu, cet insignifiant petit détail qui m'a un peu déstabilisée : E. a une façon de se vêtir (ou de se dévêtir devrais-je dire) assez atypique.
Le premier jour, il est apparu tel que tu le vois sur la photo : un shorty en lamé or zébré, une vieille ceinture rouge dans laquelle il glisse sa canne à pêche, son paddle au bout du bras, prêt à partir pour des heures sur l'eau.
Tu vas me dire que son look est assez marqué.
Tu auras à la fois raison et tort.
Car les jours suivants, il a repoussé à chaque fois les limites.
On a eu, au jour 2, le shorty en lamé argent.
Pas mal.
Mais moins surprenant.
Je commençais presque à douter de sa réputation dont on avait écho en écoutant les blas-blas sur la plage.
Le jour 3, j'ai quand même été contrainte de fermer ma bouche à son arrivée.
Il arborait un superbe string noir.
Comme il pagaie beaucoup plus vite que moi, j'ai donc eu une vue sur ses fesses durant les deux heures qu'a duré la promenade.
Mais pourquoi tu es restée derrière me demanderas-tu ?
Hé bien je vais t'expliquer : c'était encore plus space de face.
Parce que le string, figure-toi, était affublé d'une fermeture éclair.
Oui, tu visualises bien : un string, donc les fesses à l'air vu de dos, et un zip prêt à laisser sortir son attirail vu de face.
La grande classe.
Evidemment, tout ça le fait beaucoup rire, il est à fond dans la provoc et se régale de la tronche en biais des "gens comme il faut" qu'il croise sur la plage.
Moi je me bidonnais, et avec ma copine M., on pariait pour savoir si il pouvait encore élever le niveau, déjà assez high quand même.
Il a réussi je dois l'admettre.
Le jour 4, après un set de paddle, il a posé sa planche dans le sable pour aller se baigner.
On était déjà dans l'eau avec M., on papotait gentiment en regardant si on ne voyait pas de méduses s'approcher de nos cuisses de nymphes (notre hantise)(les méduses hein, pas nos cuisses).
Quand on a commencé à entendre sa voix, on a tourné la tête vers lui et on l'a vu entrer dans l'eau.
A poil.
Pas en shorty lamé, pas un string zippé, non.
A POIL.
Et là, il s'est approché et a commencé à nous faire la conversation, le plus simplement et le plus naturellement du monde.
Ca a duré environ 30 minutes.
Trente minutes sur lesquelles j'en ai passé au moins 29 à me répéter mentalement cet incroyable mantra : "surtout ne baisse pas les yeux ne regarde pas sa bite, surtout ne baisse pas les yeux ne regarde pas sa bite, surtout ne baisse pas les yeux ne regarde pas sa bite !".
Un vrai travail bouddhiste.
Du coup, toute la semaine, on n'a presque parlé que de ça : avant la plage, après la plage, on avait toujours un commentaire ou un pari à faire, franchement il nous a régalées, c'était trop sympa de sa part !
Je garde par exemple un souvenir ému de cette soirée où il nous a emmenées récolter de la fleur de sel dans son marais, et où je l'ai donc suivi, tandis qu'il se tenait accroupi en string devant la succession de bassins où il testait le profondeur de l'eau ...
J'ai rarement autant ri de ma vie !
Rarement rencontré quelqu'un d'aussi généreux aussi : intéressant, sympa, open minded ...
Finalement un bonheur ce mec-là.
Honnêtement je ne pouvais pas ne pas écrire sur lui, parce que tous les jours, j'avais cette réplique en tête, que je voulais pouvoir écrire pour toi : "Tu t'mets toujours à poil pour citer Saint-John Perse ?".
Toute ma semaine, je n'ai pensé qu'à ça.
Mais il y a autre chose en fait.
Tu te poses sûrement la question je le sais.
Ne fais pas semblant avec moi va.
Rhaaa tu brûles que je te le dises n'est ce pas ?
Si je n'ai tenu que 29 mn sur les 30, est-ce que j'ai baissé les yeux, hein c'est ça ???
Hé bien ... oui !
J'ai craqué.
Et ce que j'ai vu m'a déroutée figure-toi.
Le gars n'avait aucune trace de démarcation du maillot.
Au-cu-ne.
Ni derrière, ni sur les côtés .... ni devant !
Du coup, je n'ai pas pu résister.
Je l'ai rebaptisé.
Comment je l'ai appelé ?
Réfléchis.
Non, pas bite-en-bois voyons !
Je voulais trouver pour lui un nom à sa mesure, un nom de rebelle, un nom de chef indien ...
Et ça m'est venu, ce soir-là, dans le marais, en le voyant récolter la fleur de sel au soleil couchant.
Tu ne trouves pas ?
Tu ne devines pas ?
Moi en le regardant je ne pensais finalement plus qu'à ça !
"La raie dorée de l'île de Ré" !
C'était parfait, c'était magique, c'était ... impeccable !
Nul doute que je ne pourrai pas l'oublier, mais du coup, avec ce surnom, je pense que lui aussi se souviendra de moi ;) !

lundi 22 septembre 2014

Ca fait 22 ans aujourd'hui ...


Ca fait 22 ans qu'elle est morte.
J'ai réalisé ça tout à l'heure.
La journée se traînait, sans grande énergie, mais sans mélancolie.
Une journée comme une autre.
J'avais oublié.
Oublié quel jour on était.
J'ai eu le déclic en pensant à une belle date : l'anniversaire de ma copine Roca, née un 22 septembre.
Et puis, comme un miroir dans mon inconscient, est revenue la date moins aimée évidemment.
Le 22 septembre 1992.
C'est ce jour là qu'elle s'est éteinte.
J'ai rapidement calculé mentalement.
Le chiffre m'a frappée symboliquement.
Et j'ai eu envie, soudain, de revoir les photos.
Celles de mon enfance.
Les quelques photos, un album par enfant, qui ont échappé au désastre de notre vie de famille, aux drames multiples et aux nombreux déménagements ...
Et puis je ne les ai pas trouvées.
J'ai manqué d'air soudainement.
Si je les avais perdues !
Si je ne les trouvais plus ?
J'ai si peu de photos d'elle, si peu de photos d'elle et moi ...
J'ai retourné la maison et j'ai poussé un ouf de soulagement.
Les albums étaient dans le grenier.
Bien abîmés, mais toujours là.
Je suis descendue, et puis j'ai ouvert.
Et, en même temps que je tournais les pages jaunies, j'ai senti que s'ouvraient les vannes.
Je n'ai pas su quoi faire de ça.
Pas su comment calmer mes larmes.
Alors je me suis assise devant l'ordinateur et je suis venue me réfugier ici, chez moi.
Et je suis là maintenant, à nu, devant toi.
Tu ne me vois pas mais tu sais.
Si tu l'as déjà vécu tu sais.
Tu sais l'enclume sur le coeur et le corps.
Tu sais les sanglots, les hoquets, l'eau salée plein les joues.
L'envie de te rouler en boule.
L'envie de disparaître, de ne plus être toi.
L'envie de tout oublier, pour ne plus ressentir cette douleur dans le thorax.
Si tu l'as vécu aussi, tu ne sais que trop bien tout ça.
Si tu ne l'as pas vécu, profite, profite à fond de ce que tu as.
Parce qu'après ...
Après c'est fini.
Après c'est trop tard.
Après tu n'as plus que quelques photos cornées, et des larmes qui coulent lentement sur tes joues pendant que tes doigts s'agitent sur le clavier.
Des larmes qui brouillent ta vue.
Qui brouillent cette image.
Celle du bonheur, ou celle qui y ressemble en tous cas.
Je suis si petite dans ses bras, et mon frère si beau.
Elle, elle a ce sourire.
Ce sourire incroyable.
Et elle me serre contre elle.
Elle me serre fort dans ses bras.
Et soudain je crois que je pourrais tout donner, tout pour la sentir me serrer encore une fois.
Et je pleure ce manque là.
Je pleure comme une enfant.
Je pleure comme si c'était survenu hier.
Je pleure comme j'ai pleuré la première fois.
Ca fait 22 ans qu'elle est morte.
Et tu vois, certains jours, je crois que je ne m'y habitue pas.

jeudi 18 septembre 2014

Cet été, j'ai fait une tentative ...



J'ai écrit un texte, pour répondre à un concours sur un site de magazine féminin ...
Je ne l'ai pas publiée au moment opportun.
Mais aujourd'hui, j'ai eu envie de vous la faire lire, cette petite nouvelle.
Il y avait juste un thème à respecter, en quelques mots : "Ca fait deux heures qu'il l'attend ..."
Si le coeur vous en dit, je veux bien votre avis ...
Je vous embrasse !
              
                ***              ***             ***

Ca fait deux heures qu’il l’attend, assis sur un siège en formica jauni saturé de graffitis.
Par la baie vitrée, il regarde les silhouettes se succéder, pressées et emmitouflées.
Il ne bouge pas.
Il ne peut plus bouger.
Il en a perdu la force après s’être subitement levé du siège sur lequel il commençait à devenir fou.
D’une voix un peu étranglée, il avait annoncé à sa femme qu’il avait besoin de prendre l’air et qu’il allait à la cafétéria.
Pour qu’elle puisse le rejoindre après si elle voulait.
Lui ne pouvait plus rester.
Même s’il se sentait lâche.
Même s’il se détestait.
Même s’il était rongé par la culpabilité.
C’était devenu trop dur pour qu’il puisse encore encaisser.
Aujourd’hui sa fille avait 10 ans.
Et c’était sa treizième opération.
Il ne se souvenait plus en détail des premières.
Mais il ne parvenait pas à oublier la dernière.
Ce jour-là, sa femme était seule, et c’est elle qui lui avait tout raconté le soir quand il était venu la chercher.
Comme à chaque fois, elle avait discuté avec l’anesthésiste de garde avant l’opération pour lui expliquer.
Que leur fille avait un syndrome particulier.
Que son métabolisme aussi, était particulier.
Qu’elle avait des veines si fines, si fragiles, qu’il était inutile d’espérer la piquer comme un enfant « normal ».
Elle avait tout présenté, exposé, justifié.
Elle connaissait par cœur les raisons médicales, et maîtrisait hélas son sujet sur le bout des doigts.
Elle avait même fait ajouter une lettre au dossier, d’un généticien qui avait accepté d’attester de cette spécificité.
Et elle avait conclu : « Je sais que ça va vous paraître un peu barbare, mais c’est dans la jugulaire qu’il faut la perfuser ».
Il avait haussé un sourcil et répondu qu’il savait piquer les enfants.
« Oui mais peut être pas ce genre d’enfant ? » avait-elle doucement ajouté.
Il était parti avec un sourire moqueur, celui qu’on réserve aux mères un peu névrosées.
Et elle avait attendu, ventre noué, cœur serré, qu’on lui ramène sa fille adorée.
Lorsque la porte s’était ouverte quelques heures plus tard, le sol s’était dérobé sous ses pieds.
Sa fille était couverte d’impacts.
D’impacts et d’hématomes violacés.
Creux des coudes, bord du bras, poignets, chevilles, genoux même, pour finir par une trace dans le cou … dans la jugulaire évidemment.
Il avait piqué partout.
Il avait tout essayé, tout tenté.
A plusieurs reprises parfois.
Il avait voulu lui monter qu’il savait, qu’il maitrisait.
Et il s’était acharné sur ce petit corps fluet.
Ce corps couvert des stigmates de son orgueil et de son manque d’humanité.
Essayant de trouver un linge pour essuyer le sang, elle ne s’était même pas rendu compte qu’elle s’était mise à pleurer et que les larmes coulaient sur le drap qui tentait de cacher ce qu’il avait fait.
Le message était clair.
Elle le ressentait de tout son être.
Elle n’était rien, ne méritait pas qu’on l’écoute, ne pouvait pas savoir mieux qu’un vrai professionnel de la santé bien sûr.
Sa fille n’était rien, juste une patiente pénible à opérer, une enfant dont personne ne comprenait les troubles et qu’aucun médecin n’avait vraiment envie de soigner.
Personne ici ne les considérait en fait.
Ce jour là, pour l’hôpital, l’opération s’était parfaitement déroulée.
On lui avait rendu sa fille après avoir fait ce qu’il fallait.
Mais pour sa femme, et pour lui, qui les avait ensuite retrouvées …
Il n’oublierait jamais la douleur, la colère, le sentiment d’injustice qui les avait, durant des nuits, tenus ensuite éveillés.
Ce coup de poignard au cœur qu’on leur avait infligé.
Comme si ce n’était pas assez difficile, comme s’ils ne souffraient pas déjà assez.
C’est à ça, à tout ça, qu’il repense tristement en regardant son gobelet de mauvais café.
Pourvu qu’elle aille bien.
Pourvu qu’elle se réveille.
Pourvu qu’ils ne l’aient pas encore charcutée.
Pourvu que sa femme vienne vite à ses côtés boire un café et se réchauffer.
Ca fait deux heures qu’il l’attend et il commence à sentir le vent tourner.
Alors il se lève et se dirige vers le bâtiment D.


lundi 15 septembre 2014

J'avais peut être 26 ans ...



J'avais peut être 26 ans lorsque cette scène là a eu lieu.
J'étais partie du "nid" pour vivre à Lyon ma vie, enfin.
Mon père venait de rencontrer celle que j'ai ensuite surnommée "la marâtre", celle qui mériterait de figurer dans les contes des fées, mais au rayon sorcières bien sûr tu t'en doutes ...
J'étais naïve encore, et j'avais ce besoin, inconditionnellement, de plaire et d'être aimée.
Lorsqu'il m'a dit qu'elle venait vivre chez lui, dans cette maison qui était autrefois chez nous, j'ai donc sauté sur l'occasion.
"Je vais lui faire de la place", j'ai dit.
La symbolique me paraissait appropriée.
J'ai pris un train, je suis montée à Paris, et j'ai rejoint cette petite bicoque où j'avais tant ri mais aussi tant pleuré, parfois jusqu'à en crever.
Je suis allée dans ma chambre.
Elle n'avait pas bougé depuis les deux années déjà écoulées.
J'ai commencé à trier.
Les placards, je les ai entièrement vidés.
Les meubles, déplacés sous l'auvent.
J'ai fait place nette, j'ai tout viré.
Je voulais faire une belle pièce vide pour que la nouvelle femme de mon père puisse entreposer tout ce qui lui plairait, et se sentir chez elle.
Je voulais qu'elle puisse se sentir accueillie.
Je voulais lui montrer qu'elle allait être aimée.
Je voulais avancer, malgré le pincement que j'éprouvais lorsque je les voyais s'embrasser.
La visage de ma mère en superposition, chaque fois, qui me sautait à la gorge, je voulais l'effacer.
Ou du moins l'anesthésier.
Avancer.
Pour lui.
Pour moi.
Pour tout le monde, il le fallait.
Mais dans la douceur si possible.
Un deuil, c'est toujours si compliqué.
Un deuil, ça fait toujours tellement mal.
C'est comme un morceau de peau très très fine qu'on t'aurait arrachée.
La plupart des gens ne voient rien, le changement est si infime en surface.
Tu restes la même personne.
Tu ris, tu danses, tu bosses.
Tu pleures aussi parfois, mais toujours en cachette.
Alors non, les autres ne peuvent pas savoir que tu es totalement à vif, que ton coeur et ton corps sont toujours lacérés.
Que cette plaie est en fait si béante que tu ne sais même pas si un jour elle pourra se fermer.
Mais tu te forces.
A cicatriser.
Ou à faire semblant pour rassurer ceux qui te le demandent.
J'en étais là dans mon parcours, lorsque j'ai tenté de plaire à la marâtre.
Quelle erreur ça a été ...
Quand j'y pense, vraiment, quelle naïveté.
Mais la chambre était vide, j'étais contente de moi, j'ai pris une grande inspiration, et je l'ai appelée.
Je voulais qu'elle voit, qu'elle prenne possession de mon espace, je voulais en quelque sorte lui passer le relais.
Elle est montée, par ce petit escalier de meunier si étroit dans lequel j'avais un jour failli tomber.
Elle a regardé la pièce et m'a juste demandé : "Oui. Et alors, quoi ?".
L'enclume que j'ai reçue sur le coeur m'a tétanisée.
J'ai dégluti péniblement.
Incompréhension totale.
Voilà ce que je ressentais.
J'avais dû mal comprendre, j'avais dû mal interpréter.
Je ne pouvais que m'être trompée.
Sur son ton, sur ses intentions.
Alors j'ai murmuré : "Hé bien j'ai vidé toute ma chambre, j'ai tout retiré, la pièce est pour toi, j'espère que tu t'y sentiras bien".
Avec le deuil de ma mère, je faisais ainsi celui d'avoir un refuge chez mon père.
La toute fin de l'enfance.
La toute fin de l'assurance que quelqu'un, toujours, quelque part t'attend.
Je me sentais un peu bouleversée.
Elle, elle s'en foutait.
Elle m'a dit sèchement : "Ah ben c'est pas trop tôt, mais il faudrait venir trier les serviettes de toilette dans la salle de bains aussi".
Et puis, brusquement, elle a tendu les mains.
Je n'avais pas réalisé.
Elle tenait une poêle à crêpes dans la main gauche, et dans la droite, un kilo de farine.
C'était surréaliste quand j'y pense.
Elle m'a tendu le tout, avec un grand sourire carnassier.
"Tiens", a-t-elle dit.
J'ai balbutié "Pourquoi est ce que tu me donnes tout ça ?".
Et elle a eu un air si heureux lorsqu'elle m'a répondu, c'en était effrayant.
"Hé bien maintenant, tu vois, tu vas éviter de venir en week end en fait. Parce que ton père et moi on a envie d'intimité. On est heureux quand on est tous les deux. Mais seulement touts les deux. Alors comme tu ne vas plus venir, tu ne feras plus ces fameuses crêpes dont il m'a tant parlé. Alors tu vas ramener chez toi la poêle et la farine. A Lyon. Parce qu'il n'y a pas assez de place pour tes trucs dans ma cuisine".
J'ai baissé les yeux vers la poêle.
C'était celle en fonte.
Celle que m'a grand mère m'avait donnée, après que je l'aie tant et tant suppliée.
Avec cette poêle, on faisait les meilleures crêpes du monde.
Voilà ce que je me disais.
Et j'avais le coeur tellement serré.
Une profonde amertume dans la gorge.
Les larmes aux yeux aussi.
Mais il a fallu ravaler.
Ravaler mon chagrin.
Ravaler ma fierté.
Ne pas lui faire en plus le plaisir de me voir en pleurer ...
J'ai tenté un sourire, j'ai lâché un "OK".
Je crois que j'avais alors cessé de respirer.
J'ai eu envie de reprendre mon souffle, j'ai eu envie de la voir s'en aller.
Oh, pas de la maison non, j'avais déjà compris la défaite et le bannissement auquel j'étais destinée ...
Mais au moins de la pièce, celle qui n'était déjà plus ma chambre, mais dont je rêvais de fermer la porte pour pouvoir me laisser aller un peu à pleurer.
Je n'en ai pas eu le temps.
Elle s'est penchée vers le couloir et m'a alors tendu un linge que je ne parvenais pas à identifier.
"Ah oui au fait, j'ai commencé a trier dans la salle de bains alors je te l'ai montée" a-t-elle dit.
"Montée quoi ?" ai-je articulé.
"Hé bien ça. Cette serviette de bébé. Celle que tes parents avaient gardée. Ta serviette de petite enfant. C'est tellement ridicule de l'avoir conservée ! Tellement grotesque ! Je te l'ai apportée avant de la mettre à la poubelle. C'est bien là qu'elle doit aller non ?".
Comme je ne disais rien, criblée de ses paroles et comme morte sur place, elle a cru bon d'ajouter : "Allons, voyons, il faut grandir un peu, tu n'es plus un bébé !".
Elle jubilait.
Elle avait bien raison en fait.
Je n'étais plus un bébé.
Je n'étais plus une enfant.
Au fond d'ailleurs, je ne l'avais jamais beaucoup été.
Parce que personne ne m'avait vraiment protégée.
Ou si peu.
Parce que j'avais tout pris en pleine gueule.
Parce que j'avais dû tout assumer.
A la place de ma mère.
A la place de mon père.
J'avais tenu le coup, le choc, les rênes, j'avais fermé ma gueule et j'avais assuré dans tout ce qu'on me demandait : tenir la maison, faire les courses, à manger, l'infirmière, les comptes bancaires, le repassage, et puis en passant mes devoirs aussi c'est vrai ...
Toutes ces années à tenter d'aider, à vouloir leur plaire et être aimée.
Il ne m'en restait presque rien en réalité.
Rien que quelques souvenirs sauvés par miracle des déménagements réguliers.
Et même ça, elle voulait me le retirer.
Ce jour là, je n'ai pas pu l'affronter.
Je n'ai pas réussi à hurler ce que je ressentais.
Je n'ai pas osé la frapper comme j'en aurais pourtant rêvé.
J'ai juste attrapé délicatement cette cape de bain démodée, avec ses petits lapins jaunes et bleus délavés, et j'ai murmuré : "Je crois que je vais quand même la garder ...".
J'ai affronté son dédain, son regard mélangé de moquerie et de pitié, avec juste cette petite lueur de victoire tout au fond.
J'avais tout perdu c'était vrai.
Mais ce petit enfant, cette petite fille trop souvent recroquevillée dans son chagrin, trop souvent les yeux baissés, trop souvent le coeur égratigné, avait le droit d'avoir un refuge quelque part, chez quelqu'un.
Malgré tout.
Malgré ce que la vie lui avait présenté.
Malgré ce qu'il allait manifestement encore falloir affronter.
Oui, un refuge, c'était urgent, il le fallait.
Et elle le méritait.
Alors ce serait chez moi.
Dans mon coeur trop serré.
Tout mieux que la renier.
J'ai attendu que parte la marâtre, qui me fixait méchamment tandis que je m'emmurais dans un silence désespéré.
Elle a fini par tourner les talons, pour redescendre vider les placards et faire place nette dans mon ancien foyer.
J'ai repris mon souffle péniblement.
J'ai refermé doucement la porte.
Et je me suis effondrée.





mercredi 3 septembre 2014

Quelques mots sur l'asphalte, un jour, abandonnés ...


Elle ne me les écrira jamais.
Jamais, bien sûr, jamais je ne les recevrai.
Vingt ans que tout cela est terminé.
Vingt ans qu'elle n'est plus.
Vingt ans que c'est plié.
Et même avant en fait.
Je le sais.
Je ne le sais que trop.
Ce n'est pas comme si je le découvrais.
Ce n'est pas comme si ça m'étonnait.
Et pourtant, pourtant un jour j'ai croisé ce papier ...
Par terre, abandonné sur l'asphalte.
Balancé par quelqu'un.
Souillé par la chaussée et le caniveau voisin.
Et j'ai eu envie de le photographier, ce mot.
Et j'ai eu envie de pleurer aussitôt.
"Qu'est ce que tu fais Maman ?".
Mes enfants m'appelaient, ne comprenant pas mon arrêt.
Un arrêt sur image.
Sur image d'Epinal.
Je l'aurais tant aimé moi ce mot, si je l'avais un jour reçu !
Je l'aurai bien gardé, au chaud contre mon coeur.
Ou dans mon portefeuille, ou bien sur mon bureau, ou sur un mur dans mon atelier.
Je l'aurais accroché.
Je me serais accrochée.
A cet amour.
A cette mère.
Il y a quelqu'un, quelqu'un quelque part, qui en a une.
Une mère.
Une maman.
Qui pense à lui.
Qui lui écrit le jour de son anniversaire.
Tout son amour.
Et lui (ou elle), il la jette.
Et nous, passants inattentifs, on la piétine.
Cette lettre là.
Cette mère là.
Est ce que je ne l'aurais pas méritée moi ?
Si tu savais combien j'aurais donné, pour qu'elle puisse me le souhaiter moi, mon putain d'anniversaire ...
Alors ce mot par terre.
Ce gâchis.
Cette misère.
Je n'ai pas pu marcher dessus.
A travers mes yeux un peu embués, je n'ai pas pu.
Je me suis arrêtée.
Et avec tendresse, avec affection, avec un soin infini et une tendresse absolue, je l'ai shooté.
Ce petit bout de papier.
Et tout ce qu'il représentait.
Et ce soir, en le revoyant, tu veux que je te dise la vérité ?
La vérité c'est que j'ai toujours autant envie de pleurer.

Crédit photo : Bob - New York avril 2014

lundi 1 septembre 2014

Epaules bien droites et doigts croisés ...


Et si on parvenait un jour à se faire confiance ?
Si on pouvait réaliser que tout n'était pas fantasmé ?
Si on prenait conscience de nos failles, mais aussi de nos forces, bien présentes, bien ancrées ?
Et si on y croyait un peu, un peu plus, un peu pour de vrai ?
Et si on se lançait des défis, des coups de pieds au cul, des projets ?
Si tout à coup on arrêtait de se dire que ça ne peut pas, ne va pas marcher ?
Si on se mettait à nu, une fois de plus, pour assumer son manque de confiance et ses sempiternels regrets ?
Mais si maintenant on plongeait, si on se bousculait ?
Si on flanquait aux oubliettes, pour quelques minutes au moins, les idées sombres et toute la négativité ?
Et si c'était maintenant, le moment d'y croire et de tout essayer ?
Le moment de s'aimer.
Le moment d'aimer ce qu'on est.
Le moment d'aimer ce qu'on fait.
Je suis là, avec l'envie au creux du ventre.
Avec la peur aussi.
Mais la peur n'évite pas le danger, je le sais.
Alors il n'y a plus aucun doute.
Plus aucune barrière.
Plus aucune excuse.
Il faut plonger !

Crédit photo : Bob, ballade sur Mars