jeudi 13 novembre 2014

Tout miser sur l'avenir, les pieds dans l'herbe et l'âme au vent.



Ca aurait pu se finir autrement bien sûr.
Oh, je le sais, pour les autres, ça peut paraître des jérémiades.
Ces discours sans fin sur les valises à vider, sur les problèmes à régler, sur les schémas à contrer ...
Ca peut paraître misérabiliste.
Ca peut paraître geignard.
Ca n'est pas ce que je veux.
Ca n'est pas ce que je crois.
Mais il faut bien l'admettre : ça aurait pu se terminer autrement tout ça.
Qu'est-ce qui fait que la petite fille a surmonté tout ça ?
Pas moi, mais la petite fille.
Celle qu'on envoyait au casse pipe en permanence.
Celle à qui on racontait des folies.
Celle qu'on chargeait d'expliquer au monde entier les nouvelles théories.
Je me suis souvenue aujourd'hui, en discutant avec une amie, des cours de catéchisme par exemple.
Mes parents voulaient que j'y aille c'est vrai.
Ils insistaient.
C'était important à leurs yeux.
Mais c'était, pour mon père, comme un terrain de jeu.
Cette enfant qui croyait tout.
Cette enfant qui le plaçait au-dessus de tout.
Cette enfant qui le défendait et le suivait partout, malgré tout.
Pour le catéchisme, il avait une façon bien à lui de m'apprendre les choses.
Quand on me racontait Dieu, le paradis et l'enfer, il s'asseyait ensuite à mes côtés.
J'étais fière et heureuse, à vrai dire ces moments-là n'étaient pas si fréquents, il y avait toujours plus urgent à gérer.
Alors, assise, muette, je buvais ses paroles.
"Ca n'existe pas tout ça tu sais".
Voilà ce qu'il me disait avant de m'y renvoyer.
"Ca n'existe pas et je vais te dire ce qui est vrai".
"Ce qui est vrai c'est que nous sommes tous les vagues d'un seul et même océan".
"Ce qui est vrai c'est que nous allons tous, un jour, nous réincarner. En humain, en animal, en végétal".
"Ce qui est vrai c'est que le karma dirige nos vies. Tout est boomerang. Tes bonnes comme tes mauvaises actions. Tout te revient, tout te reviendra un jour".
Il me racontait ça, tout doucement, avec son beau sourire.
Et ensuite, il me déposait devant chez la dame du caté.
Au front.
Avance petit soldat.
Va annoncer la bonne parole.
Et j'y allais.
Avec toute mon énergie, toute ma foi d'enfant.
Mais je ne croyais pas en Dieu alors.
Ou plutôt, mon Dieu, à l'époque, était encore mon père.
Alors j'y allais.
Et la dame de reprendre : "Le paradis, l'enfer ..." et sa litanie de croyances, de valeurs, et la foi qu'elle défendait légitimement.
Et moi de la contrer, systématiquement, du haut de mes 8 ans.
"Mais nooooon !".
"Ce n'est pas du tout ça Madame, pas du tout !".
"Nous on va se réincarner tu ne le sais pas ???".
"Nous on va redevenir des vagues dans un grand océan voyons !".
Il y avait alors un grand silence.
Il y avait leurs regards.
Ceux de mes camarades.
Perdus ou amusés.
J'étais sans nul doute le clown de service.
Et il y avait les yeux de cette femme.
Pas du tout amusée pour le coup.
Désespérée pour moi en réalité.
Je pense qu'elle a dû prier pour mon salut.
Mais elle n'a jamais parlé à mon père.
Elle m'a renvoyée chez moi, remplie de ses croyances à elle.
Et le jeu de balle a continué pendant des mois.
Je te gave de mes délires.
Et puis je t'envoie diffuser ma Vérité au monde.
A 8 ans, j'étais son petit pion préféré.
Mon père déjà mystique.
Ou plutôt complètement barré.
Se prenait-il déjà pour Jésus ?
Ou pour un apôtre ?
Fréquentait-il déjà des sectes ?
Oui.
En était-il déjà à avoir perdu son libre arbitre ?
Je ne saurais te le dire.
Mais je sais aujourd'hui une chose.
Ca aurait pu se finir autrement toute cette histoire.
Ca aurait pu se finir mal pour cette petite fille.
Le germe de la construction de soi existait, oui.
Mais il l'a consciencieusement piétiné.
Il a semé le doute.
La zizanie.
L'angoisse.
La peur.
Le dédoublement nécessaire.
Je devais être une autre chez moi et chez la dame.
Il fallait sans arrêt s'adapter à chacun.
Répondre aux désirs et à la foi de chacun.
Très tôt, trop tôt, j'ai pris ce pli.
Répondre aux attentes.
Les anticiper.
Les deviner.
Je n'ai pas à me plaindre pourtant.
Mon père ne m'a jamais frappée.
Mon père n'a pas été violent.
Tout ça n'était pas grave, pas si grave non.
Tout ça ce n'étaient que des mots.
Mais à sa façon, je crois, il a été destructeur.
J'ai mis du temps à l'admettre.
Et aujourd'hui, je le revendique.
Mon père, par sa folie mystique perpétuelle, a été destructeur.
Il m'a bourré le crâne d'idées toutes plus folles les unes que les autres.
Il prétendait parler aux morts.
Il prétendait qu'on pouvait vivre en mangeant uniquement des choses crues.
Il prétendait que l'énergie coulait de ses mains et pouvait me sauver.
Il prétendait qu'on était des enfants indigos.
Qu'on avait intérêt à être à la hauteur de la tâche qu'on nous avait confiée.
Dans le cosmos.
Dans l'au-delà.
On était désignés.
On était différents.
Lui, il le savait.
Et moi, moi j'ai eu de la chance je crois.
Beaucoup de chance.
Parce que j'ai surmonté ça.
Parce que je me suis construite malgré ça.
Oh pas forcément comme un immeuble magnifique de 40 étages non ...
Mais je suis debout.
Mais je suis vivante.
Mais je ne suis pas folle.
J'ai construit.
J'ai appris.
J'ai fait des deuils.
J'en fais encore.
Parce qu'il n'est pas question que ça se termine mal cette histoire.
Parce que je te le dis, le pire est derrière moi.
Devant, c'est l'avenir.
Et il me sourit.
De toutes ses dents.

Crédit photo : Bob






17 commentaires:

  1. mais pourquoi ? mais pourquoi alors t'envoyer au catéchisme ? je sais que ça n'est pas la question mais c'est quand même celle que je me pose... pourquoi !?!

    tu reviens de loin ma jolie, c'est certain...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je me suis également posé la question mille fois Opio ...
      Oui, pourquoi ?
      Je ne sais pas.
      Un besoin de diffuser "la bonne parole" à travers moi peut être ?
      Je ne saurai jamais ...

      Supprimer
  2. un vrai pervers narcissique aussi non?
    ton travail de déconstruction, reconstruction est admirable tu sais ça!
    biz

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je le sentais plus totalement paumé que pervers narcissique mais en même temps je ne sais pas ...
      Merci, merci pour ton compliment qui me fait un bien fou !
      Je t'embrasse fort !

      Supprimer
  3. Oui tu reviens de loin. Et ce que tu crées (avec ce blog, avec ces mots, entre autres) n'en est que plus beau. Tu nous inspires ! Continue....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je n'ai pas la prétention d'inspirer qui que ce soit ;)
      Mais je suis heureuse si ça peut aider d'autres personnes à se remettre en question sans avoir honte ou peur, sans se penser fou ...
      On essaie tous d'avancer, tous à notre façon.
      C'est ça surtout qui est beau :)

      Supprimer
  4. Les mots ne sont pas moins terribles que les gestes, et oui, cette toute petite fille aurait pu terminer autrement. Bravo d'en être là, et de mettre des mots à ton tour.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Combien tu brilles (je ne connais pas ton prénom) !
      La petite fille pense et panse ses plaies.
      Je crois qu'elle commence à aller mieux en fait.
      En tous cas, elle fait de son mieux.

      Supprimer
  5. oui la fin aurait pu être catastrophique.... souvent je me le suis dit en venant ici : mais comment a t elle fait ?
    et cela me réconforte de savoir que malgré les pires conneries de parents, certains enfants ont cette force innée de vivre "normalement"... je ne sais plus si nous en avons déjà parlé, as-tu lu : "pourquoi être heureux quand on peut être normal ?". Inutile de te dire à quel point j'ai aimé ce livre...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Le Chat.
      Je vais filer commander ce livre, que je ne connais pas ...
      Oui, les enfants ont une ressource incroyable, et je ne sais pas au fond si c'est bien ou pas car c'est aussi ce qui fait que certains parents, inconscients ou dans le déni de leurs actes, ne savent pas s'arrêter ...

      Supprimer
  6. Ce que je trouve admirable, ou troublant, ou je-ne-sais-quoi exactement, c'est ta capacité à l'excuser malgré tout... Non, tu n'as pas l'air, comme le deuxième commentateur de le voir comme un pervers narcissique. Un pervers narcissique manipule consciemment, toi tu parle de folie et de perte du libre arbitre... Comme si ton père avait joué sans avoir conscience des risques.
    Peut-être que la dame du catéchisme, ou qui que ce soit d'autre informé de la situation, aurait dû lui intervenir, en discuter avec... Mais aurait-ce été mieux pour toi de douter de ton père à cet âge où faire confiance au parent est tellement nécessaire ?
    En tout cas, oui, ça aurait pu mal finir. Et j'admire cette lucidité et dans le même temps cette absence de rancune vis à vis de l'homme qui aurait pu saper ton existence.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci, merci bcp Junko pour ton passage et ton message.
      En effet, je ne peux pas dire que je lui en veuille.
      Ca c'est passé comme ça.
      Je le prends comme un fait aujourd'hui.
      Je n'ai pas le pouvoir de changer le passé.
      J'ai celui en revanche de décider de la couleur de mon avenir.
      Il sera pétillant, plein feux sur la lumière.
      Je l'ai promis à la petite fille, je crois qu'elle compte sur moi ;)

      Supprimer
  7. Ton témoignage prouve s' il en est rncore besoin que la résilience, à tous les niveaux, existe...vraiment je suis toujours démunie par rapport à ce que tu racontes, et je mesure ma chance, malgré des parents imparfaits (quel parent ne l'est pas?) de ne pas avoir eu cette enfance déchirée, absurdement. Je suis très touchée par tout ce que tu nous confies. Bises
    Pascale m.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si je te dis que ça me touche quand ça te touche, ça donne une phrase un peu bizarre j'en ai conscience ;)
      Et pourtant c'est exactement ça ...
      Merci Pascale.
      Je t'embrasse !

      Supprimer
  8. Comme Pascale, avec tes mots je mesure ma chance d'avoir eu une enfance Disney Land, et j'ai de la peine quand j'imagine ta souffrance de petite fille, d'adolescente, de jeune femme, de maman ... même si je sais que tu n'écris pas pour te faire plaindre.
    Tes textes sont toujours bouleversants, et en même temps, je me dis, sacrée nana cette Bob, elle a l'air bien plus costaud que moi au fond !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis tellement heureuse de lire ce petit mot Maëlle, "tu n'écris pas pour te faire plaindre", c'est exactement ça et j'ai pourtant toujours peur de passer pour une misérabiliste, une mendiante de compassion, une arracheuse de larmes ... Alors que ce n'est pas du tout, pas du tout mon propos. Je ne me sens d'ailleurs pas spécialement à plaindre, j'ai juste l'envie ou le besoin de sortir tout ce que j'ai caché durant des années.
      Ca me rassure énormément de lire que tu le reçois comme tel.
      Merci Maëlle.
      Et non, je ne suis pas plus costaud que les autres, j'ai juste appris plus tôt à utiliser mes forces, mais on a tous en nous cette énergie de résistance, cette volonté de résilience, j'en suis convaincue.

      Supprimer
  9. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer