vendredi 24 avril 2015

Education sentimentale ...



"Est-ce que tu crois que tu pourras me rejoindre au stade vers 15h ?".
Le ton sur lequel il posait la question ne donnait pas envie de répondre autre chose qu'un grand "oui !".
Et pourtant j'avais peur.
Cette petite voix au fond de moi qui me disait d'être prudente, distante.
Après tout, il était quand même beaucoup plus vieux que moi.
Vraiment vraiment beaucoup plus vieux.
Tu te rends compte, seize ans !
Alors que je n'en avais que treize ...
Je ne peux même pas te dire que je ne comprenais pas ce qui avait pu l'attirer en moi ... car en réalité je n'avais toujours pas compris que je l'attirais.
Oui je voyais bien qu'il me souriait.
Qu'il prenait toujours le temps de me saluer.
De bavarder.
De plaisanter.
Mais c'était ce seul domaine que je croyais un tant soit peu maîtriser.
Les blagues.
Les vannes.
Pour tout le reste, j'étais d'une désarmante nullité, d'une absolue naïveté.
Comment aurais-je pu m'imaginer seulement qu'il me portait un quelconque intérêt ?
J'avais 13 ans et j'étais une sorte de grande tige plate et laide.
Dents de travers, cou de girafe, cannes de serin.
Coupe de cheveux improbable, sweats informes destinés à cacher une puberté qui tardait à s'imposer.
Franchement, comment voulais tu que j'imagine que ce grand jeune homme de 16 ans, presque barbu déjà, au sourire carnassier, pourrait poser seulement les yeux sur le vilain petit canard que j'étais ?
Alors j'ai répondu un grand "oui !", mais sans aucune arrière pensée.
Un peu avant 15h, j'ai prévenu ma mère que je sortais.
Le stade était juste derrière la maison, grillage contre grillage, j'avais le droit de m'y rendre sans adulte déjà.
J'ai marché tranquillement, mon walkman sur les oreilles.
Renaud à fond, Mistral Gagnant.
J'avais même le bandana rouge au poignet.
Question de génération sans doute.
Cette musique, comme tant d'autres, qui me donnait chaque fois l'impression de voler, l'envie d'être enlacée, protégée, aimée ...
Le temps de m'assoir sur un banc 5 minutes avec mon idole, et j'étais arrivée.
Stéphane n'était pas là.
Pas encore en tous cas.
Je me suis assise dans l'herbe, au bord du terrain de tennis défraîchi, et j'ai attendu.
Quinze minutes plus tard, il est arrivé.
Tu n'aurais peut être aperçu qu'un grand ado dégingandé et boutonneux si tu l'avais croisé.
Moi j'ai vu un presqu'homme.
Grand, beau, avec ce sourire narquois qui lui mangeait le visage et me faisait chavirer.
Je me suis levée d'un bond.
Un bond aussi important que la chute que venait de faire mon coeur, au fond de mon ventre.
J'avais un peu la trouille quand même.
Chaque fois que j'étais seule avec lui, je me sentais nerveuse.
Mais cette fois ci, c'était encore pire.
Je m'étais machinalement adossée au muret qui bordait le terrain, lorsqu'il s'est approché.
Il marchait comme un chat, pas mesurés, mains dans les poches.
Il avait ce perpétuel sourire, mi-ange, mi-démon.
Moqueur.
C'était un beau merle moqueur ce mec.
Et moi je riais bêtement à ses moqueries, même quand elles m'étaient destinées.
Pas de filtre.
Pas de maîtrise.
Pas de recul.
J'étais envoûtée.
J'étais amoureuse il faut bien se l'avouer ...
Amoureuse transie de ce grand échalas qui, je le sentais bien, ne serait jamais pour moi.
Histoire sans espoir.
Juste bonne à rêver.
Il était pourtant là, bien réel, je le voyais inéluctablement s'avancer.
Il s'est approché de moi doucement et a tendu la main vers mon visage.
Il a écarté une mèche de cheveux et l'a délicatement déposée derrière mon oreille.
Le sourire un peu moins assuré, il a murmuré un léger "Salut", et puis s'est tu, l'air un peu gêné.
J'étais pétrifiée.
Mon coeur battait la chamade, mes mains étaient moites, mes jambes tremblaient.
Je n'avais jamais vu son visage d'aussi près, ses yeux soudain m'ont dévorée.
J'étais envahie par la peur, par le doute, par les questions.
Par l'envie aussi.
L'envie de croire que peut-être je lui plaisais.
L'envie de grandir, de laisser un peu l'enfance derrière moi.
L'envie de savoir "ce que ça faisait".
Ce moment de ma vie a duré deux minutes, mais il m'a paru une éternité.
Alors que je baissais les yeux, incapable de supporter plus longtemps son regard appuyé, il a relevé mon menton.
Sa main ne s'est ensuite pas retirée.
Elle a glissé avec une infinie douceur sur ma joue, qu'elle a caressée.
Avec une tendresse et une chaleur que je n'aurais pas pu imaginer.
La même chaleur que celle qui envahissait mon ventre tout à coup.
Il s'est encore approché, tout près, si près ...
Et tout doucement, très lentement ... il m'a offert mon tout premier baiser.

Crédit photo : Bob, avec la lumineuse I.

jeudi 23 avril 2015

Ouvrir les portes en grand, faire sauter les verrous ... et assumer les conséquences.



Une amie proche, une amie chère, m'a dit récemment que la lecture de mes textes était pour elle source d'inquiétude.
Que mes états d'âmes, en tous cas les plus sombres, lui faisaient un peu peur.
Qu'elle avait eu soudain le sentiment, en découvrant ce blog, que j'allais mal.
Elle était étonnée autant que perplexe.
Jusqu'alors, elle avait pensé que j'allais tout le temps bien.
Que j'étais toujours gaie.
Un vrai pinson c'est vrai, c'est ce que je montrais.
Un clown même.
En surface c'était vrai.
(En profondeur aussi quand j'y pense, car il est des clowns tristes qu'il fait bon éviter certains soirs de déprime où leur coeur pourrait déborder ...)
J'ai longtemps été cela.
Une surface rassurante, un sourire de façade, un rôle très bien rôdé.
Et puis un jour j'ai su.
Qu'il fallait s'échapper, de ce rôle, de ce masque trop serré.
Alors j'ai ouvert ma porte.
Mes yeux.
Mon coeur.
Et surtout, ma bouche.
J'ai ouvert ce lieu.
J'ai commencé à déverser.
Et déverser.
Et déverser.
Et si tu savais comme je me sens mieux !
Si tu savais combien ça m'a soulagée !
D'avoir cet espace là, un peu à l'abri, un peu secret ...
Mais ouvert quand même, pour pouvoir échanger ...
J'ai commencé à parler.
De mes souvenirs tristes ou gais.
De mes humeurs joyeuses ou sombres.
De mes angoisses cohérentes ou folles.
De mon histoire.
De moi.
Voyage au centre de ma terre.
Voyage au coeur de mes secrets.
Le lien du blog a fait son voyage.
Hors de mon contrôle.
Sans que je l'y ait poussé.
Certains ont lu ce qu'ils auraient préféré ignorer.
Certains ont même pris plaisir à me juger.
Tant mieux, tant pis, cela leur appartient, ça n'est pas de mon fait.
D'autres ont découvert une part de moi jusqu'alors cachée.
Une part qui les a interloqués, interrogés, intéressés.
Qui les a séduits parfois.
Qui leur a donné envie de mieux me rencontrer.
Qui les a émus, qui les a touchés.
Je ne sais pas qui vient me lire.
Je ne sais pas non plus pourquoi.
Je sais seulement ce que je fais.
Et que je viens, moi, écrire pour respirer.
Et que je ne pourrais plus revenir en arrière.
Ecrire est devenu une nourriture pour moi.
Un besoin quotidien.
Une drogue puissante je l'admets.
Mais je te rassure, une addiction qui me fait du bien.
Je me sens enfin vraie.
Je suis en route vers moi même.
Et je vais bien, ne t'en fais pas.

Ce texte est pour F., et C. et tous ceux et celles qui s'inquiètent pour moi et que j'embrasse, avec toute mon affection.

lundi 20 avril 2015

"Tu sais ce qui compte ? C'est l'amour ..."



C'était en fin de matinée.
Ou d'après midi peut être ?
Une fin de quelque chose en tous cas.
J'étais montée dans cette rame nonchalamment.
Se rendre à d'un point à un autre.
Prendre la bonne direction.
Changer de métro.
Changer de station.
Le ronron parisien et les gestes mécaniques.
Pas de bonjour.
Pas d'au revoir.
Pas d'échange, surtout pas d'échange on dirait.
Jusqu'à ce que je lève un peu le nez.
Et que je les vois.
Un couple d'une vingtaine d'années.
Seuls au milieu de cette rame pourtant bien remplie.
Lui endormi sur son épaule, à elle.
Il fait chaud.
Il a le front un peu moite.
La nuque aussi.
Il est assoupi sur cette épaule, et il a un très léger sourire aux lèvres.
Il est bien.
Apaisé.
Heureux.
Serein.
Chez lui.
Il a trouvé sa place.
C'est elle.
C'est elle sa place.
Celle qu'il cherchait sans le savoir peut être.
Elle, elle ne dort pas.
Elle a les yeux dans le vague.
Elle ne regarde personne.
Elle est perdue dans ses pensées et elle lui caresse délicatement la nuque.
Du bout du bout de ses doigts fins.
Petits cercles légers, répétitifs et tellement tendres.
Effleurer son amant.
Avec douceur.
Avec amour.
Avec tout l'amour du monde on dirait.
Ses doigts attrapent parfois au passage une petite mèche de cheveux frisottés qui parsèment le bas de son cou.
Elle est comme une île.
Une île nourricière.
Lui est totalement abandonné.
Je me fais cette remarque, intérieurement.
Il est totalement abandonné.
Mais qu'il est beau, qu'il est bon cet abandon là !
Ce lâcher prise absolu.
Cette absence de besoin de paraître.
Cette façon de juste être soi, avec l'autre, sans tricherie et sans faux semblants.
Ils ont trouvé.
Ils se sont trouvés.
Pour une nuit, pour une vie, je ne sais pas.
Eux non plus sans doute ...
Mais il y a autour d'eux cette aura, cette lumière magique.
Ils incarnent l'amour.
Ils incarnent la confiance.
Cette certitude que là, maintenant, à ce moment précis, plus rien d'autre ne compte que cette épaule sur laquelle se poser, et cette main qui caresse votre cou.
Je ne pourrais même pas vous dire s'ils étaient beaux ou pas.
Ils incarnaient l'amour c'est tout ce qu'il m'en reste.
Ce souvenir si doux.
Ce sourire attendri qui a envahi mon visage malgré moi.
Et celui de ma station ratée, à trop les observer ...

Crédit photo : inconnu ...



mardi 7 avril 2015

Se confronter à l'impuissance ...



Lorsque je me suis couchée ce soir là, après avoir très peu parlé toute la soirée, il semblait inquiet.
Il me connaît si bien.
Ce silence comme un aveu.
"Tu t'inquiètes ?".
Il me l'a demandé, doucement, tendrement.
Je n'ai rien répondu.
La boule était en train de se frayer un passage de mon ventre à ma gorge.
Comment la contrôler ?
Comment ne pas craquer ?
"Mais pourquoi tu t'inquiètes ?", a-t-il ajouté.
J'ai ouvert la bouche.
J'ai tenté de répondre.
Rien ne sortait.
Rien que mon souffle, en partie coupé.
Rien que ma difficulté soudain à inspirer, à expirer.
"Elle va bien tu sais".
"Elle a chopé ce virus, elle est couverte de boutons et c'est pénible, elle doit gérer cette merde, oui on va galérer, mais ce n'est rien de grave. Juste un virus, casse pieds mais anodin. Elle va bien tu sais. Ce n'est rien de grave, rien de grave tu m'entends ?".
Et toujours mon silence, opposé à cette foi.
Il a soupiré.
Marqué un temps d'arrêt.
Réfléchi avant de demander.
"Mais de quoi as tu peur en fait ? Ce n'est pas qu'elle ? Ce n'est pas vrai ?".
Cette fois ça y était.
Plus moyen de me dérober.
J'étais totalement acculée.
Cette question était celle qui allait tout déclencher.
Des larmes, silencieuses au départ.
Petites, fines, légèrement salées.
Roulant presque paisiblement sur mes joues dans la nuit.
Dans le noir, j'étais protégée, il ne pouvait les deviner.
Mais mon silence, malgré tout, me trahissait.
"Réponds moi Babeth ! De quoi tu as peur ?"
De quoi j'ai peur.
De quoi j'ai peur ?
De quoi j'ai peur ???
Mais tu crois peut être que je peux te le dire sans que tu me croies folle ?
Tu crois peut être que je peux l'avouer sans craindre de te perdre ?
J'ai peur qu'elle meurt !!!
Voilà de quoi j'ai peur.
Quand on est malade, on meurt.
Voilà la vérité.
Voilà ma vérité.
Celle de la petite fille à l'intérieur de moi.
Cette petite fille qui hurle, immobile dans la nuit.
Cette petite fille qui crie tout à coup dans ma tête.
J'ai peur qu'on me la prenne, comme on m'a pris ma mère.
J'ai peur que la vie soit une chienne, et qu'elle revienne me mettre des coups dans la gueule.
J'ai peur que mon bonheur ne puisse pas durer.
J'ai peur d'être si heureuse, peur qu'on revienne pour tout m'enlever ...
J'ai peur de la maladie, j'ai peur des médecins, j'ai peur des diagnostics et j'ai peur des soins.
J'ai peur des regards, j'ai peur de sa peine, j'ai peur de sa souffrance, j'ai peur de sa faiblesse.
J'ai peur qu'elle soit fragile mais aussi qu'elle soit forte.
J'ai peur d'être inutile.
J'ai peur de ne pas être à la hauteur.
J'ai peur de regarder ce que je ne veux pas voir.
J'ai peur de tout rater et d'être dans le brouillard.
J'ai peur quand vient la nuit.
Peur comme une petite fille.
Peur comme si les fantômes revenaient me hanter.
J'ai peur comme une prière, qui pourrait tout stopper.
J'ai peur au plus profond, plus profond de mon coeur.
J'ai peur à en crever.
J'ai peur même d'avoir peur.
Au fond je le sais bien.
Je sais ce qui me glace.
Ce qui me tue.
C'est lui.
C'est ce sentiment.
Ce sentiment atroce, qu'il m'a été donné trop souvent de vivre.
Il faut bien s'y frotter.
Il ne doit pas gagner.
Il ne va pas gagner.
Il me faut la contrer.
Il me faut l'affronter.
Cette putain d'impuissance.

Crédit photo : Bob