C'était hier soir, à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle.
Il était 21h30, et je me dirigeais le coeur un peu lourd vers la voiture avec un morceau de famille.
Les 2/3 en fait.
Je venais de remettre le premier tiers dans un avion en direction de Munich.
Mon fils de 12 ans, qui partait rejoindre des copains pour un périple de 10 jours de camping car à travers l'Allemagne.
Un projet hyper chouette.
Mais j'avais le coeur gros.
Il était rentré par un autre avion à 16h le jour même, d'un séjour de 10 jours en Ariège.
J'avais donc eu quelques petites heures volées seulement, dans ces 3 semaines de séparation.
J'étais heureuse pour lui bien sûr, mais j'avais envie de le serrer encore un peu dans mes bras, de poser ma tête contre la sienne et de l'entendre ricaner comme un merveilleux ado qu'il était.
L'avion pour Munich a décollé, il fallait reprendre la voiture et rentrer, dans cet aéroport, plus rien ne nous attendait.
Je trainais les pieds derrière mon homme et ma fille, à moitié groggy, en direction du parking.
Ce n'est qu'une fois arrivée à la voiture que j'ai réalisé que nous avions plus d'une heure de route avant de rentrer chez nous.
Il fallait que je passe aux toilettes.
Oui, cette information a son importance.
J'ai donc planté tout le monde pour remonter à la surface et chercher le lieu dont j'avais tant besoin.
J'ai trouvé les toilettes.
Immenses, impersonnelles au possible, comme dans n'importe quel aéroport en fait.
Des rangées de portes fermées.
J'en ai ouverte une au hasard.
Mais y a-t-il un hasard ?
Je me suis déshabillée, et c'est alors que je l'ai vu.
Un objet, un petit objet rouge.
Posé sur le dévideur de papier.
Un téléphone portable.
Modèle démodé, basique, sans valeur.
Marchande en tous cas.
J'ai tout de suite pensé qu'il ne pouvait appartenir qu'à un vieux ou un très jeune en fait.
Je me suis demandée comment le retrouver.
Je suis ressortie des toilettes et j'ai réfléchi un court instant.
Il fallait fouiller, pas d'autre solution.
Alors j'ai consulté le répertoire, le journal d'appels, tout ce que j'ai trouvé.
J'ai fini par me décider à appeler le dernier numéro composé, un appel émis par le propriétaire du téléphone à peine 15 minutes plus tôt.
Je suis tombée sur une dame âgée, qui au début n'a pas compris qui j'étais.
J'ai expliqué, les toilettes, le téléphone oublié, la recherche de la propriétaire, l'absence d'indices et le besoin de faire vite car ma petite tribu allait s'impatienter ...
Elle m'a donné un nom.
Chantal X.
Et m'a expliqué que cette dame allait être tellement heureuse qu'on lui ait retrouvé cet objet, car elle avait déjà des problèmes ce soir, avec l'avion de sa petite fille qui devait arriver de Rome et était retardé ...
J'ai un peu coupé court, le temps pressait si je voulais la retrouver avant qu'elle ne quitte l'aéroport.
J'ai dit à la dame que j'allais tenter de faire appeler Chantal X par les Hôtesses d'accueil pour qu'elle vienne récupérer l'objet.
J'ai avancé le long du large couloir.
Mais pas d'hôtesse, pas d'accueil.
Rien à cet étage là que des taxi.
J'étais à la sortie.
Il fallait remonter à la surface pour retrouver les stands des compagnies aériennes.
Et donc rebrousser chemin, pour retrouver l'ascenseur qui m'y amèrnerait.
Sur mon trajet, j'ai perçu un groupe de gens qui attendaient, de l'autre côté des tapis roulants déversant les bagages de la soute.
J'ai levé les yeux vers un écran.
Et j'ai lu : "Arrivées : Rome".
Je me suis arrêtée net.
J'ai regardé autour de moi.
Pas de personne âgée.
Ah si, deux femmes en train de discuter.
Je leur ai demandé : "L'une d'entre vous serait-elle Chantal X ?".
Elle m'ont répondu non.
J'ai donc poursuivi mon chemin, en me disant que la seule chose à faire restait de déposer la chose à un stand d'accueil, en les laissant s'en débrouiller.
Tant pis, j'avais tenté, j'avais fait ma part.
Colibri for ever en somme ...
Le reste n'était plus entre mes mains.
J'en étais là de ma réflexion et l'ascenseur était en vue, lorsque je me suis arrêtée pour observer.
Au milieu de ce grand couloir froid et quasiment vide, une petite dame frêle d'un certain âge, chignon et jupe longue, air un peu affolé, venait d'arrêter un homme de ménage sur sa machine énorme, et parlementait avec lui.
Je la voyais tendue, stressée.
Lui secouait la tête de droite à gauche, l'air navré et un peu pressé d'en finir malgré tout.
Je me suis approchée, je lui ai fait mon plus beau sourire et j'ai dit : "Vous ne seriez pas Chantal X par hasard ?".
Elle m'a regardée, interdite.
"Oui", a-t-elle répondu interloquée.
Tandis qu'elle me fixait sans comprendre, j'ai soulevé ma main droite, celle qui tenait son précieux, celle qui portait le petit objet rouge qu'évidemment elle cherchait depuis une heure désespérément ...
Et là ...
J'aurais aimé prendre en photo son visage.
J'aurais aimé garder un cliché de cet moment.
Le fermeture cédant à la joie.
L'inquiétude laissant place à l'immense soulagement.
La main portée à la bouche, pour contenir le trop plein d'émotion.
La voix qui a commencé à se casser, à chevroter.
Et les yeux qui se sont emplis de larmes.
Je l'ai prise dans mes bras.
Je l'ai embrassée.
Elle m'a remerciée une fois, deux fois, mille fois.
Elle était tellement, tellement soulagée.
Elle venait chercher sa petite fille mais l'avion était retardé.
Elle avait laissé seul à la maison son mari handicapé.
Elle n'avait plus rien pour joindre ou prévenir personne, ni le téléphone, ni les numéros des voisins ou amis à appeler surtout.
Elle m'a dit que ma famille avait de la chance, beaucoup de chance de m'avoir.
A mon tour j'ai senti mes yeux s'embuer.
Je l'ai embrassée encore une fois, puis je lui ai dit que je devais filer, que ma petite tribu m'attendait.
Et je suis repartie vers l'ascenseur.
Direction le sous sol, le parking.
Niveau -1, descendre, s'enfoncer dans l'allée glauque et éclairée de lumière artificielle.
Inspirer dans cet air saturé de particules d'essence.
Et puis, surtout, me sentir soulagée.
J'avais de nouveau le coeur léger.
On reçoit tellement, tellement lorsque l'on donne sans calculer.
J'ai pensé à mon fils, qui volait vers l'Allemagne.
J'ai pensé à toutes les belles aventures que la vie allait lui présenter.
J'ai pensé qu'il n'y avait pas de hasard.
Et je me suis dit que j'avais une chance folle.
Où que je sois, c'était désormais l'amour qui me guidait.